309 – « L’Institution de la religion chrétienne » de J. Calvin. III, 23. Objections contre l’élection

Publié le par marike.over-blog.com

02 10 09


309 – « L’Institution de la religion chrétienne » de J. Calvin. III, 23. Objections contre l’élection


Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et sans défauts devant lui. (Ephésiens 1. 4-5) (cité par Calvin p. 867)

 

Je reviens à cette citation car elle m’interpelle. J’ai utilisé dans l’article précédent  l’image biblique du potier et du vase ; le potier a d’abord forcément un projet pour le vase ; il le livre au hasard du destin ensuite : sera-t-il réussi ? Cette question ne devant pas trop se poser pour le Maître-Potier, sans doute…

 

Mais une autre définition me vient à l’esprit : celle de mon philosophe de mari, empruntée à Bergson : Dieu est un courant de vie qui traverse la matière… On abandonne alors l’idée de personne, de Père, chère à la théologie chrétienne

 

Enfin une troisième définition me vient à l’esprit, celle d’un ami : Dieu est un « mur blanc » ; les mystiques ne mettent rien derrière l’idée de Dieu ; ils la vivent.

 

Comment allier toutes ces idées ? Eh bien j’ai pensé à Picasso ! Il a eu le génie de présenter plusieurs aspects d’une vérité en une seule. En effet, L’idée de Dieu  est si impossible à réaliser pour nous que nous devons procéder à une sorte de « collage »de plusieurs aperçus pour en avoir une toute petite idée.

 

Mais tout ceci ne m’arrange toujours pas pour comprendre comment Dieu peut nous « élire » avant la fondation du monde… En effet, le temps, pour l’Eternel (avant le Big-Bang) n’est pas encore créé. Il vient avec la matière. Dieu nous aurait donc élus en Esprit.

 

Revenons à notre chapitre 23.


1. L’élection mais non la réprobation ?


Plusieurs… acceptent bien l’élection, mais affirment que personne n’est réprouvé.


L’élection n’existerait pas si elle n’était pas la contrepartie de la réprobation.


Mais plutôt, toi, homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? Le vase d’argile dira-t-il à celui qui l’a formé : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier n’est-il pas maître de l’argile ? Ne peut-il faire de la même pâte tel vase d’honneur et tel vase ordinaire ? (Romains 9. 14 à 21)


Toute plante qui n’a pas été plantée par mon Père céleste sera déracinée (Matthieu 15. 13)


Une autre solution proposée est inconsistante : Dieu … suspend son affection envers eux [les réprouvés] pour le cas où ils se repentiraient.


2. Première objection : Dieu est un tyran


Perdre et ruiner ceux que bon vous semble relève davantage de la cruauté d’un tyran que de la rectitude d’un Juge.


La volonté de Dieu … est… la cause de tout ce qui se fait… la règle suprême et souveraine de la justice.


Pourquoi l’a-t-il voulu ? …Que la curiosité humaine se modère…


La volonté de Dieu –qui est pure de toute faute et qui est même la règle souveraine de la perfection-  est la Loi de toutes les lois.


Nous sommes des juges incapables et incompétents pour prononcer un jugement sur ce sujet, selon notre compréhension.


J’ai péché contre toi, contre toi seul,
Et j’ai fait ce qui est mal à tes yeux,
De sorte que tu seras reconnu juste quand tu parleras
Et sans reproche quand tu jugeras. (Psaumes 51. 6)


3. L’homme pécheur est lui-même la cause de sa condamnation


Pourquoi Dieu en a-t-il prédestiné certains à la condamnation, alors qu’ils ne l’avaient pas mérité puisqu’ils n’existaient pas encore ? Nous lui demanderons, en réponse, s’il pense que Dieu est redevable à l’homme pour être jugé selon des critères humains ! Puisque nous sommes …corrompus par le péché, il est inévitable que Dieu nous ait en abomination, et cela non pas à cause d’une cruauté tyrannique, mais en raison d’une équité raisonnée.


Leur culpabilité, qui est gravée sur leur conscience, …est constamment devant leurs yeux.


4.


Les êtres humains ont-ils été prédestinés, par la décision de Dieu, à cette corruption ?


Dieu ne serait-il pas injuste de se jouer ainsi cruellement de ses créatures ?  En réponse je reconnais que c’est par la volonté de Dieu que les enfants d’Adam ont sombré dans la misère où ils se trouvent maintenant. La cause de la seule volonté de Dieu reste cachée en lui-même. (voir la citation précédente de Romains 9. 20-21)


Faire mourir le juste avec le méchant, de telle sorte que le juste soit traité comme le méchant,  -loin de toi une pareille pensée ! Celui qui juge la terre entière ne fera-t-il point justice ? (Genèse 18. 25)

 

Salomon dit :


Celui qui prend à son service les insensés et les passants
Est comme un archer qui blesse tout le monde. (Proverbes 26. 10)

 

En somme, les insensés –dangereux- ne doivent pas trouver d’emploi en ce bas monde.

 

Voilà la traduction, ou plutôt la continuation du texte en le transposant au spirituel, de Calvin :

 

le Créateur…rendra leur salaire aux fous et aux transgresseurs.


De fait, les hommes font preuve d’une rage faramineuse quand ils prétendent enfermer ce qui est fini et incompréhensible en une si petite mesure, celle de leur compréhension.


5. Le mystère d’une volonté incompréhensible, mais juste.





Ta justice est pareille aux monts

Et tes jugements sont profonds
comme le grand abîme. (Psaume 36. 7
 ; traduction du cantique de « Louanges et prières »)

 

Calvin s’étonne ensuite, face à la puissance de Dieu, et à sa sagesse incompréhensible, du manque de crainte et de frayeur du contestataire.


O profondeur de  la richesse et de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont impénétrables  et ses voies incompréhensibles ! car « qui a connu la pensée du Seigneur ? qui a été son conseiller ? » -Esaïe  40. 13- ? Ou encore : « qui Lui a donné le premier, pour recevoir quelque chose en retour ? »  - Job 41. 2- (Romains 11. 33-36) 


6. Seconde objection : pourquoi Dieu punirait-il ce dont sa prédestination est la cause ?


Dieu, s’il l’avait voulu, aurait pu prévenir les maux qu’il a anticipés.


Si l’homme a été créé de telle manière qu’il doive faire tout ce qu’il fait, on ne peut pas lui imputer comme faute d’avoir fait les choses qu’il ne peut pas éviter et auxquelles il est astreint par la volonté de Dieu (en note : argument d’Erasme dans sa diatribe sur le libre-arbitre). 


Tout d’abord il faut considérer comme admis ce que dit Salomon :


L’Eternel a tout fait pour un but, même le méchant pour le jour du malheur. ( Proverbes 16. 4)


Pour disculper Dieu, certains proposent que, dans sa Providence (en note : qui a ici le sens de  « prescience ») Dieu n’impose rien aux hommes comme une nécessité, mais, prévoyant comment ils seront méchants, il les crée avec cette possibilité. C’est une façon de voir, mais cela ne va pas très loin.


Pour ma part, je concéderais que la prescience seule ne fait peser aucune nécessité sur les créatures, bien que tous ne soient pas de cet avis.


7. Dieu préordonne la fin et la condition de ses créatures


Ils disent qu’Adam a été créé avec son libre-arbitre pour choisir sa propre destinée et que Dieu n’a rien déterminé à son sujet, sauf de le traiter selon ses mérites.


Il serait étonnant que Dieu, qui se rend témoignage par l’Ecriture qu’il « fait tout ce qu’il veut » (Psaumes 115. 3), ait créé la plus noble de ses créatures sans décider de sa condition et de sa finalité ! …Qu’en est-il alors de la puissance infinie de Dieu ?


L’Ecriture dit, haut et clair, que toutes les créatures mortelles ont été asservies à la mort en la personne d’un homme.


Je reconnais que ce décret doit nous effrayer.


Ce que je dis ne doit pas sembler étrange : non seulement Dieu a prévu la chute du premier homme et, en elle, la ruine de sa postérité, mais il a voulu qu’il en soit ainsi.


Il a connu que le mal proviendrait du bien … qu’il appartenait à  sa bonté toute-puissante de convertir le mal en bien, plutôt que de ne pas permettre qu’il n’y ait pas de mal.

 

A prendre du recul, je constate que tout ceci est quelque peu  boiteux et que nous ne savons pas grand chose ! Nous aimerions, en effet, que tout soit paradisiaque, et que, puisque nous avons un Dieu parfait et tout-puissant, tout soit parfait dans sa création.

 

Or, nous sommes loin du compte. C’est pourquoi on a tendance aujourd’hui à dire que l’accomplissement est devant nous (Teilhard de Chardin), dans l’avenir ; que la création n’est pas achevée.

 

En effet, si vous ouvrez votre poste de télévision, que d’horreurs (sans compter celles qui nous ont cachées volontairement) , des enfants emportés par des torrents de boue, des guerres, des avidités financières injustifiées et destructrices, etc…

 

L’homme évolue dans ses techniques, par la création d’un confort de vie toujours plus grand, mais évolue-t-il moralement ?

 

A ce sujet je vous cite Baudelaire[1]


Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l'enfer. - Je veux parler de l'idée du progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance; la liberté s'évanouit, le châtiment disparaît. Qui veut y voir clair dans l'histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l'amour du beau: et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps, s'endormiront sur l'oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur de la décrépitude. Cette infatuation est le diagnostic d'une décadence déjà trop visible.

Demandez à
tout bon Français qui lit tous les jours son journal dans son estaminet ce qu'il entend par progrès, il répondra que c'est la vapeur, l'électricité et l'éclairage au gaz, miracles inconnus aux Romains, et que ces découvertes témoignent pleinement de notre supériorité sur les anciens; tant il s'est fait de ténèbres dans ce malheureux cerveau et tant les choses de l'ordre matériel et de l'ordre spirituel s'y sont si bizarrement confondues! Le pauvre homme est tellement américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels qu'il a perdu la notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel.

Si une nation entend aujourd'hui la question morale dans un sens plus délicat qu'on ne l'entendait dans le siècle précédent, il y a progrès; cela est clair. Si un artiste produit cette année une oeuvre qui témoigne de plus de savoir ou de force imaginative qu'il n'en a montré l'année dernière, il est certain qu'il a progressé. Si les denrées sont aujourd'hui de meilleure qualité et à meilleur marché qu'elles n'étaient hier, c'est dans l'ordre matériel un progrès incontestable. Mais où est, je vous prie, la garantie du progrès pour le lendemain? Car les disciples des philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques l'entendent ainsi : le progrès ne leur apparaît que sous la forme d'une série indéfinie. Où est cette garantie? Elle n'existe, dis-je, que dans votre crédulité et votre fatuité.

 

Toutefois, s’il y a du bien il y a toujours du mal ; l’un ne va pas sans l’autre…Le mystère reste épais…

 

Et voici cet extrait de » « L’Ami » VIII, (2), de Charles Wagner (éditions Fischbacher, puis Ampelos) :


L’AMI. – Dussent les formes de notre pensée demeurer soumise à d’incessantes modifications, et rester à jamais distantes de la vérité totale, ceux-là se trompent le moins qui ont confiance, qui croient à l’au-delà sans limites, à tout ce qui ranime et console, élargit le cœur et l’horizon, complète et clarifie cette existence fragmentaire. En eux fleurit l’humanité ; à leur chaleur s’épanouit l’âme. Humble foi, …rien ne t’égale…



[1] « L’Exposition universelle de 1855. I.  Méthode de critique de l'idée moderne du progrès appliquée aux beaux-arts. Déplacement de la vitalité.  » Baudelaire. Citation reprise dans « L’Anthologie de la prose française. 1100-1900 », de Marie-Claire Weber-Lefeuvre, 2005, p. 399.

 

 

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