601. Faire sienne la pensée de René Girard

Publié le par marike

Mon point de vue à partir d'un résumé et extraits de la page de Wikipédia, et quelques autres échos sur René Girard dans « Le Figaro »... Ma compréhension.

Résumé : On désire quelque chose qu’un autre possède. Il y a là 3 éléments : 2 êtres humains : le désirant et le désiré (= le modèle, le médiateur), et la chose désirée.  Notre désir est toujours suscité par le désir qu'un autre – le modèle – a d'un objet quelconque. Selon Girard, tout désir est l'imitation du désir d'un autre. Le caractère mimétique du désir. « tout désir est désir d’être », aspiration à la plénitude ontologique attribuée au médiateur. En cela, contrairement au besoin, le désir humain recèle un caractère infini, au sens où il ne peut jamais être véritablement satisfait.

R Girard expose le mécanisme victimaire ou mécanisme de la victime émissaire, à l’origine du religieux archaïque, dans son deuxième livre, La violence et le sacré (1972).

Rivalités et conflit mimétique : Si deux individus désirent la même chose il y en aura bientôt un troisième, un quatrième. Le processus fait facilement 
boule de neige. L’objet est vite oublié, les rivalités mimétiques se propagent, et le conflit mimétique se transforme en antagonisme généralisé : le chaos, l'indifférenciation, « la guerre de tous contre tous » de Hobbes, ce que Girard appelle la crise mimétique.            

Le « bouc émissaire » : Comment cette crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Pour Girard, cette énigme ne fait qu'un avec le problème de l'apparition du sacré. C'est précisément au paroxysme de la crise de tous contre tous que peut intervenir un mécanisme salvateur : le tous contre tous violent peut se transformer en un tous contre un. S'il ne se déclenche pas, c'est la destruction du groupe.   
            Description de ce  mécanisme : il en est un parce qu’il découle du mimétisme lui-même. À mesure que les rivalités mimétiques s'exaspèrent, les rivaux tendent à oublier les objets qui en furent l'origine et sont de plus en plus fascinés les uns par les autres. À ce stade de fascination haineuse, la sélection d’antagonistes va se faire de plus en plus contingente, instable, rapidement changeante, et il se pourra alors qu'un individu, parce qu'un de ses caractères le favorise, focalise alors sur lui l'appétit de violence. Que cette polarisation s'amorce, et par un effet boule de neige mimétique elle s'emballe : la communauté tout entière (unanime !) se trouve alors rassemblée contre un individu unique. Ainsi la violence à son paroxysme aura alors tendance à se focaliser sur une victime arbitraire et l'unanimité à se faire contre elle.
            La sacralisation rituelle de la victime : L'élimination de la victime fait tomber brutalement l'appétit de violence dont chacun était possédé l'instant d'avant et laisse le groupe subitement apaisé et hébété. La victime gît devant le groupe, apparaissant tout à la fois comme la responsable de la crise et l'auteur de ce miracle de la paix retrouvée. Elle devient sacrée c'est-à-dire porteuse du pouvoir prodigieux de déchaîner la crise comme de ramener la paix. René Girard pense ainsi avoir découvert la genèse du religieux archaïque : du sacrifice rituel comme répétition de l'événement originaire, du mythe comme récit de cet événement, des interdits qui sont l'interdiction d'accès à tous les objets à l'origine des rivalités qui ont dégénéré dans cette crise absolument traumatisante. Cette élaboration religieuse se fait progressivement au long de la répétition des crises mimétiques dont la résolution n'apporte la paix que de façon temporaire. Pour Girard, l'élaboration des rites et des interdits constitue une sorte de savoir empirique sur la violence : la rivalité mimétique, l’obstacle que constitue le rival, ou 
Satan qui symbolise le processus mimétique tout entier depuis la rivalité jusqu’à la résolution victimaire fondatrice d’un nouvel ordre.

Dans les Évangiles, le Dieu de violence a entièrement disparu. Personne n’échappe à sa responsabilité, l’envieux comme l’envié : « Malheur à celui par qui le scandale arrive ». Comme l’a dit Simone Weil : « Avant d’être une théorie de Dieu, une théologie, les Évangiles sont une théorie de l’homme, une anthropologie14. »

« Les mythes reposent sur une persécution unanime. Le judaïsme et le christianisme détruisent cette unanimité pour défendre les victimes injustement condamnées, pour condamner les bourreaux injustement légitimés. Cette constatation simple mais fondamentale, si incroyable que cela paraisse, personne ne l'avait faite avant Nietzsche, pas un chrétien ne l'avait faite ! Sur ce point précis, par conséquent, il faut rendre à Nietzsche l'hommage qu'il mérite. Au-delà de ce point hélas, il ne fait que délirer » (R Girard)

L’Apocalypse est ce qui révèle aux hommes leur propre violence sans limites. Revendiquant la tradition prophétique, le penseur de la théorie mimétique affirme que la Bible et les prophètes nous montrent déjà que le Messie, par son sacrifice, est celui qui révèle l’innocence des boucs émissaires et la violence à l'origine de toute société humaine25. Mais le message chrétien n’aurait pas été compris par la modernité, moment où la violence se déchaîne puisque nul mythe ni sacrifice ne peut plus la contenir26. Et René Girard d’en appeler à l'eschatologie à l’horizon de laquelle se profilent, soit le choix d’une apocalypse destructrice, soit l'avènement du Royaume27.

La théorie illustrée dans la littérature
La médiation est externe lorsque le médiateur du désir est socialement hors d’atteinte du sujet, voire hors du monde réel comme l'est Amadis de Gaule pour Don Quichotte. Le héros vit une sorte de folie qui reste cependant optimiste.

La médiation est interne lorsque le médiateur est réel et au même niveau que le sujet. Il se transforme alors en rival et en obstacle pour l’appropriation de l'objet dont la valeur augmente à mesure que la rivalité croît. C’est l'univers des romans de Stendhal, Proust ou Dostoïevski particulièrement étudiés dans Mensonge romantique et vérité romanesque.
Ex : le « snobisme » des héros proustiens – n’est que  « ruses du désir » pour éviter de voir en face sa vérité : l’envie et la jalousie.

Tels personnages, fascinés par le médiateur, parant ce dernier de vertus surhumaines en même temps qu’eux-mêmes se déprécient, en font un dieu en faisant d’eux-mêmes des esclaves, ceci dans une mesure d’autant plus grande que le médiateur leur fait obstacle. Certains, poussant cette logique, en viennent à poursuivre les échecs qui sont les signes les plus sûrs de la proximité de l’idéal auquel ils aspirent. C’est le masochisme qui peut se renverser en sadisme.

Croire à l’autonomie de notre désir c’est l’illusion romantique qui est à la base de la plus large littérature. Découvrir la réalité du désir, dévoiler le médiateur, c’est ce que réalisent les grands romanciers comme ceux qui sont étudiés dans ce livre, c’est accéder à la vérité romanesque. C'est notamment à travers l'exemple de l'évolution de Proust que René Girard décrit cette conversion romanesque nécessaire à la véritable grandeur littéraire. Dans Jean Santeuil, premier roman (inachevé) de Proust, l'écrivain place son héros dans la loge de Mme de Guermantes, arrivé, heureux et triomphant.
            L'expérience véritable du désir est celle du manque, de l'humiliation et de la diminution d'être, face à un médiateur qui semble tout-puissant, quelle que soit la position objective occupée par le sujet.       
            C'est en renonçant au rêve romantique du triomphe et de la plénitude individuelle, tels qu'ils sont fantasmés dans la représentation que le sujet désirant se fait de son médiateur, que Proust trouve l'inspiration qui lui permettra d'achever l'immense somme romanesque que constitue la Recherche.

Sa découverte du désir mimétique amène René Girard à s’interroger sur la violence, sur la facilité avec laquelle la rivalité mimétique se développe à partir des conflits pour l'appropriation des objets. Cette rivalité étant contagieuse, la violence menace à tout instant.

Citations : lu dans « Le Figaro du 06 11 2015
 p 17 : Article de Benoît Chantre : « René Girard, ou le roman des romans »

« C’est grâce au Christ que le bouc émissaire a cessé d’être coupable... La Croix nous a délivrés des religions archaïques en rendant tout sacrifice absurde. .. La victime dit la vérité et c’est la persécution qui porte le mensonge. »
« Notre contradiction fondamentale : nous sommes les bénéficiaires du christianisme dans notre rapport à la violence, et nous l’avons abandonné. »
« Les Evangiles sont la matrice de tous les livres... de tous les grands textes. »
«  Le romancier ne peut s’arracher au désir, quitter le monde, sans l’aide de son personnage. »
«  Cette étrange et longue guerre où la violence essaie d’opprimer la vérité. (repris de Pascal)

p. 18 : Jean-Luc Marion : « Le philosophe malgré lui » :  l’idéologie produit de la violence au moins autant que les religions... René Girard faisait le pari de la raison.

p. 18 : Olivier Rey : « Le désir mimétique, clé de son œuvre » :
« Les mythes racontent les événements du point de vue des persécuteurs », ( tandis que le christianisme, au contraire...)
« De l’aveu de René Girard lui-même, c’est le christianisme qui a rendu possible l’élaboration de sa théorie. Cette boucle assumée est l’un des traits les plus originaux de sa pensée. Il a, par le christianisme « découvert une vérité anthropologique ».
« Selon Péguy, une grande pensée n’est pas celle contre laquelle il n’y a rien à dire, mais celle qui a dit quelque chose, pas celle qui n’a pas de vides, mais celle qui a des pleins... »

Ma compréhension par l’exemple des Evangiles : pour le judéo-christianisme il y a Caïphe, Jésus et l’objet du désir : l’approche de la perfection divine. La violence : Caïphe sacrifie Jésus pour rester seul sur le terrain. Volonté de pouvoir. Elimination du rival par la violence. N’est-ce pas à ce moment-là que le groupe se divise en 2 : les Juifs qui suivent Caïphe et les rares et courageux disciples, futurs « chrétiens », qui suivent Jésus, non encore déifié ?

Selon R Girard, « le bouc émissaire » dans la religion archaïque sauve le groupe (voir Caïphe), mais cette idée est définitivement vaincue par la recherche individuelle de perfection : « Je suis le chemin » dit Jésus : mimer l’Autre, c’est aussi l’indépendance de la démarche.

On voit ici que le chemin individuel (Jésus) et le chemin politique (ici Caïphe entraîne le politique) peuvent diverger... et se rejoindre plus tard : le chemin individuel éclaire alors -plus ou moins- le politique (l’alliance du trône et de l’autel). Tous les croyants judéo-chrétiens reconnaissent à la fois leur péché, et un pardon de Dieu possible pour eux.

 

Publié dans Société et Religion

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